Pratiques et praticiens : techniques, technologies et nouveaux médias
dans la création irlandaise contemporaine
L’actuelle hybridation des procédés et techniques dans la création artistique en Irlande est peut-être l’heureux symptôme d’une réconciliation entre tradition et modernité, entre culture nationale et tendances internationales. Elle s’inscrit dans une évolution plus large ayant conduit à un élargissement de l’œuvre qui peut désormais inclure les différentes phases de sa réalisation (l’œuvre devient un projet parfois documenté par un blog), proposer une réflexion sur le processus de création, sur son impact sur le milieu ou l’environnement, sur son inscription dans une culture ou un genre, ou assembler des propositions in-situ plurielles (environnement ou installations) et rassembler des intervenants divers.
Les rapports entre art et technique ont donné lieu à d’innombrables écrits philosophiques et débats artistiques. La question du beau, celle de l’unicité de l’œuvre reposant sur la virtuosité et l’inventivité du génie créateur est au cœur de ces débats.
La philosophie de l’art a proposé une distinction relativement étanche entre technique et art : Alain, dans son Système des Beaux-Arts, concède que l’artiste peut s’apparenter à l’artisan mais affirme que la réalisation mécanique et la reproductibilité nuisent à l’imprévisibilité mystérieuse et magique de la création artistique : l’artiste, explorateur et expérimentateur avant tout, déborde les règles imposées par une technique. Henri Bergson, quant à lui, rapproche la technique de l’utile et du matériel tandis que l’art est libéré de toute recherche utilitaire, voué à la recherche d’un beau idéel. Les réflexions de Walter Benjamin, après l’invention de la photographie, sur la reproductibilité de l’œuvre et la perte de son aura ont également marqué l’histoire du rapport entre art et technique. Chez Theodor Adorno, qui écrit après que les avant-gardes artistiques ont ébranlé les hiérarchies artistiques, le dialogue entre art et technique se fait fertile. C’est que, dès la fin du 19e siècle, les artistes ont vu dans la technologie et l’artisanat une manière de replacer l’art dans la vie. William Morris a prôné une réconciliation de l’art et de l’artisanat et associé beauté à utilité ; dans son sillage, les modernistes ont reconnecté l’art à la vie et célébré la beauté des objets mécaniques ou industriels tandis que les postmodernistes ont réfuté les hiérarchies artistiques, la construction romantique de l’artiste génie, l’unicité adossée à la non-reproductibilité de l’œuvre comme garante du Beau. L’homogénéisation et la standardisation culturelles de l’Après-Guerre, la résistance à la marchandisation de l’art, la recherche – notamment chez les artistes féministes – de techniques ou pratiques défiant les hiérarchies établies ont incité les artistes à retisser des liens avec les pratiques artisanales. L’artisanat qui requiert un savoir-faire technique (tekhnè) spécifique, un rapport sensible et symbolique au matériau et qui est parfois ancré dans une tradition locale, peut être d’abord perçu comme opposé aux nouvelles technologies. Or, certaines nouvelles technologies et médias (le numérique, les imprimantes 3D, la génétique, le clonage ou la culture cellulaire) ont permis aux artistes de développer de nouvelles pratiques et de réfléchir à notre rapport au réel, à la vérité, à l’authenticité mais également à notre rapport à la nature (land art ; environmental art) ; au vivant (bioart) ; au politique et aux idéologies.
Les récents « tournants » théoriques et politiques du posthumanisme ; le développement de la recherche-création ou des résidences d’artistes sont autant d’éléments qui soulignent la vitalité et la transversalité des arts contemporains en Irlande. Ce numéro spécial d’Etudes Irlandaises propose d’explorer les propositions des artisans et des artistes, ainsi que leurs pratiques et leurs méthodes.
Nous sollicitons des contributions d’auteurs issus de disciplines variées : histoire de l’art; philosophie, sociologie, anthropologie, communication et nouveaux médias, etc. Parmi les approches possibles mais non exclusives :
- Artisanat : rencontres, pratiques, enjeux, création et créativité,
- Art et politique : création artistique, performance, activisme, engagement, environnement
- Hybridations : matières, mobilités, croisements arts/sciences, nouveaux médias, archives et conservation
- Méthodes et modèles : recherche et création, résidences et communautés d’artistes, musées et collaborations, nouvelles épistémologies
- Nouveaux ancrages : lieux et publics de l’art, environnements, interactions, expérimentations, art et diaspora, transnationalisme…
Les propositions de communications détaillées en français ou en anglais et accompagnées d’une brève notice biographique, seront envoyées conjointement à Anne Goarzin (anne.goarzin@univ-rennes2.fr) et Valérie Morisson (valeriemorisson@gmail.com) avant le 30 janvier 2019.
Après notification d’acceptation des propositions, les articles finalisés devront être envoyés pour le 15 juillet 2019 et feront l’objet d’une évaluation externe en double aveugle.
Ils devront respecter la feuille de style de la revue Etudes Irlandaises, disponible ici <https://journals.openedition.org/etudesirlandaises/2729>